Aucun fondateur de religion n’a vécu un tel passage. C’est le trait le plus incomparable de la foi chrétienne. Dieu s’est reconnu totalement dans le ministère du Christ. Tel est le cri de Dieu lors de la résurrection du Christ. Quand le Père a retrouvé le Fils, il lui a dit, bravo, merci ; si j’avais été sur terre je n’aurais pas fait autrement. Tu m’as parfaitement représenté. Tu as été mon image parfaite, ma ressemblance parfaite. Tu as été l’ambassadeur parfait de la réconciliation que je voulais offrir à mes créatures les plus chères.
Oui Jésus a incarné la royauté de Dieu sur terre. Il a incarné la passion de Dieu pour ses enfants sur terre. Il ‘a incarné jusqu’au bout. Il a vaincu les ennemis extérieurs des enfants de Dieu, le mal sous ses formes les plus démoniaques. Il a vaincu les fausses représentations que les croyants se faisaient de leur Dieu. Il lui restait un ennemi intérieur, un ennemi qui se logeait dans le cœur même des êtres humains, un mal insidieux, profond, l’inimitié des êtres humains contre leur Dieu. Ce mal là ne pouvait être délogé qu’à la croix. Ce mal là ne se dissout que dans l’amour. Ce mal là ne pouvait partir qu’à la faveur de la repentance et c’est cette repentance que produit la mort du Fils de Dieu. Aucune comptabilité macabre au sujet des péchés que Jésus aurait expiés ne suffit, si par sa mort Jésus ne parvient pas à bruler notre conscience. Aucune satisfaction de la justice de Dieu ne suffit si elle ne parvient pas à provoquer dans le cœur du croyant la repentance qui le fait lui aussi passer de la mort à la vie. Le désir de Dieu n’est pas tourné vers lui-même. Le désir de Dieu n’est pas narcissique. Le but de Dieu est de nous chercher, inlassablement, de nous retrouver et de nous restaurer à l’image du Christ. Son image, il l’a malmenée, sa justice il l’a dépassée. Il s’est fourvoyé, il s’est commis, il s’est compromis pour nous. Dieu n’a pas été contraint par la mort du Christ. Dieu était dans le Christ. Il était le Christ : Car Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même, en n’imputant point aux hommes leurs offenses, et il a mis en nous la parole de la réconciliation.
Mais Dieu n’a pas seulement ressuscité Jésus. Il a ressuscité sa prédication, son enseignement, son exemple, la dignité de son nom, la puissance de son nom. Le malin a voulu la confisquer, la détourner. C’est raté. Cette prédication ressuscitée nous est redonnée. La dignité et la puissance de son Nom nous sont redonnées. Dieu a montré sa puissance. La pierre angulaire qui avait été rejetée, il est allé la chercher au rebut, dans la mort même, et il lui a rendu la gloire qu’elle méritait. Elle est devenue la pierre d’angle. Christ ressuscité, avec sa prédication du Royaume, la puissance de son nom sont le fondement de l’Eglise. L’Eglise ne peut bâtir sur une autre pierre que celle-là. Quand elle le fait, elle trahit Dieu, elle blasphème le nom du Christ. Elle le remet dans son tombeau. L’Eglise doit toujours et à jamais reprendre à son compte ce que Jésus à dit, ce qu’il a fait et se l’approprier. Elle n’est pas seule sur ce chemin. L’Esprit la précède et l’accompagne. C’est lui que Dieu a envoyé relever Jésus d’entre les morts. L’Esprit a étreint Jésus dans ses bras. Il lui a communiquée la vie du Père pour ses enfants. Il a dit à Jésus, viens, relève-toi, je vais prendre le relais.
Et pourtant… Qu’est devenue notre foi en la résurrection ?
Lorsque je visite une famille pour préparer un service funèbre, je vérifie souvent à quel point l’espérance de la Résurrection ne va pas du tout de soi – elle défie notre raison, et même plus encore : elle défie notre espérance. Certains me disent explicitement qu’ils n’y croient pas. D’autres me disent qu’ils croient que l’énergie dont nous sommes constitués se recomposera d’une autre manière. Je ne sais pas en quoi c’est une bonne nouvelle (il y a des soirs où je me sens si fatigué que si je mourrais, il n’y aurait même pas assez d’énergie pour recomposer un artichaud). La seule énergie suprême qui est dans le monde, c’est l’amour de Dieu pour ses enfants. Toutes les autres forces lui sont vassales, tout les autres forces lui sont soumises, toutes les autres forces lui sont ordonnées.
Quand j’en parle avec les élèves au CO, je m’aperçois que c’est une notion dont ils ont vaguement entendu parlé, mais dont ils n’ont pas discuté, en famille par exemple, pour en comprendre tous les aspects et les implications. Pour beaucoup, c’est une légende ancienne. Comme si la modernité la rendait obsolète, comme si l’avènement de l’homme et de la femme moderne avait rendu cette croyance inconsistante. Est-ce que la prétention de l’homme moderne prendrait Dieu par défaut ? Est-ce que l’orgueil humain pourrait faire vaciller Dieu de son trône ? Dieu serait-il mort ? Si Dieu était une pensée humaine, il pourrait bien mourir et personne ne s’en plaindrait. Mais Dieu n’est pas une création de l’être humain, Dieu est le créateur des êtres humains.
Il n’y a pas d’autres preuves qu’un tombeau vide.
Il n’y a pas d’autres preuves qu’un tombeau vide.
Le tombeau vide, c’est quand il n’y a rien à voir. Le tombeau vide, c’est quand la vue ne suffit pas, quand le regard de l’homme ou de la femme ne discerne plus rien. C’est le moment où l’intelligence ne comprend plus. Le tombeau vide, c’est la crise, le bug parfait, la panne de tous nos systèmes de pensée. Le tombeau vide, c’est quand il n’y a plus de sens, plus de solution, et qu’on est obligé de s’en remettre à quelqu’un d’autre. Le tombeau vide, c’est la détresse, celle de Marie de Magdala, qui pleure. Pourtant il y avait un signe, un signe discret : le linge qu’on avait mis sur la tête de Jésus était à part, plié. Est-ce qu’on plie le linge quand on vole un corps ?
Au final, il n’y aura que des témoignages. Bien sûr il y a des révélations, des personnes qui vivent des ascensions célestes, mais même ces gens-là, il faut les croire. La résurrection est une évidence de la foi. Cela signifie que le témoignage de la résurrection nous incombe, la preuve de la résurrection nous incombe. Les témoins de la résurrection c’est NOUS. C’est nous pour les autres, mais c’est aussi nous pour nous-mêmes. Le geste de Marie est intéressant en ce sens, elle est tournée vers le tombeau puis se retourne et voit Jésus dont elle recevra finalement la consolation. C’est aussi en se détournant de la mort qu’on peut rencontrer la vie.
Ce retournement du regard, c’est ce qu’ont expérimenté les disciples.
Ils ont réalisé qu’ils faisaient partie de la résurrection, de son témoignage, de son message, de son espérance. Les disciples désespérés sont devenus quelques temps plus tard des témoins rayonnants et solides, prêts à donner leur vie pour que le message de Jésus rayonne et atteigne le cœur des humains. Ceux qui étaient couards et durs d’oreille ont cru que Dieu pouvait les entrainer de l’autre côté du désespoir. Ils sont passés de l’autre côté de ce monde. C’est le sens du mot Pâques : le passage (Passover, disent les anglais). Ils ont cru que Dieu a fait passer Jésus de l’autre côté et que eux aussi pouvaient passer.
Le message de la résurrection est qu’à un moment, Dieu prend le relais. La résurrection nous dit que nous pouvons suivre le chemin juste à tout prix, que notre engagement par la foi sera poursuivi par Dieu. C’est Dieu qui couronnera de succès notre service. C’est Dieu qui s’occupera de ce qui nous est impossible. C’est Dieu qui sera notre ressource quand nous n’aurons plus de ressources. C’est quand même cette conviction qui a déterminé les chrétiens à accepter le martyr. C’est encore cette conviction qui anime les chrétiens persécutés.
Notre part. Notre part à nous, c’est de revêtir le Christ, comme le dit Paul aux Colossiens. Fixer les regards sur lui.
Colossiens 3
L’enjeu est de demeurer en Christ et de rechercher les réalités d’en haut. Les choses d’en haut, ce sont ces choses qui concernent le Royaume de Dieu, ces réalités célestes dont dépend en réalité toute notre vie, et toute la vie du monde. Les réalités d’en haut, c’est ce qui concerne notre communauté de frères et de sœurs du Christ. Rechercher les choses d’en haut, c’est souhaiter voir Dieu agir, désirer le voir réaliser son œuvre parmi nous. Rechercher les choses d’en haut, c’est prier pour qu’elles adviennent.
Pour Paul, il s’agit de conduites, de manières de vivre… Ce que Paul appelle les « réalités d’en-haut », il le dit dans les versets suivants, c’est la bienveillance, l’humilité, la douceur, la patience, le pardon mutuel… Notre vie tout entière est dans cette tension : notre transformation, notre résurrection est déjà accomplie en Christ mais il nous reste à vivre cette réalité profonde, très concrètement au long des jours.
« Vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau » (Col 3,10) puis « puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui, revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. » « Vous avez revêtu », c’est déjà fait… « revêtez », c’est encore à faire.
Pour devenir quoi ? Vas dire à mes frères, dit Jésus à Marie de Magdala.
Pour la première fois de l’évangile, les disciples ne sont plus des disciples ou même des amis de Jésus mais ses frères ! Ils font partie de la même famille. Le Ressuscité n’est pas ressuscité contre eux, ni sans eux, mais pour eux et même avec eux. Croire en la résurrection, c’est croire qu’une grande fraternité est née à la croix et qu’elle se manifeste hors du tombeau. Notre appel consiste à lutter contre tout ce qui s’oppose au rayonnement de cette fraternité.
Revêtir Christ est croire que le Christ est notre sauveur et notre Dieu. C’est une première étape. Mais revêtir Christ, c’est aussi accepter de se laisser transformer par lui. C’est la seconde étape. Cela signifie, penser comme lui, avoir les mêmes priorités que lui, agir comme lui, prier comme lui, et demeurer confiant en Dieu comme lui, malgré les obstacles, les oppositions, en ayant la certitude que Dieu fera sa part.
Les impasses…
Les impasses
Toute notre vie, nous rencontrons des impasses. Une impasse est un moment de doute, de détresse, un moment où on aurait envie de tout abandonner car aucune issue ne semble possible.
Notre vie personnelle ne voit pas d’issue, enfermée dans les limites ou les conditionnements qui semblent perdurer. Ces impasses sont les obstacles que Dieu laisse exister afin que nous fassions appel à lui.
Il peut en aller de même pour notre vie de couple ou dans notre travail.
Il semble aussi que nos églises soient dans des impasses, ne savent plus, n’osent plus. La parole ne leur suffit plus. Elles s’orientent de plus en plus avec la boussole du monde. Est-ce que le monde saurait où il va ? Est-ce que quand on regarde le monde, il y a l’air de savoir où il va ? Est-ce que le monde n’aurait pas besoin de la seule boussole que Dieu a ressuscitée ?
Le Dieu de la résurrection est le Dieu des impasses. Le monde est rempli d’impasses, mais notre espérance dans le Dieu de la résurrection nous fait croire qu’elles s’ouvriront. C’est le contenu même de la foi en la résurrection.
Pardonner, c’est ressusciter. Aimer et accepter la parole, c’est ressusciter. Prier vraiment le Dieu vivant, c’est ressusciter. Louer Dieu de tout son cœur, c’est ressusciter. S’engager au service de la communauté, c’est ressusciter. Bâtir une fraternité, c’est ressusciter. Si nous ne faisons rien de cela, nous mourrons. Nous prendrons la place du Christ dans son tombeau. La résurrection est un chantier. Dieu a déjà posé la pierre d’angle. A nous de suivre l’Esprit pour rajouter nos petites pierres.